I. – Personne qui a un pouvoir de domination sur les êtres ou les choses.
A. − Personne qui a quelqu’un sous sa dépendance, sous son autorité.
Celui, celle qui a quelqu’un à son service. Le maître et l’esclave; les domestiques, les valets d’un maître; la maîtresse et ses servantes; le seigneur et maître d’un vassal; servir son maître. L’évêque (…) s’entretint en détail avec les chevaliers des moyens de réparer les torts faits à la veuve et aux orphelins de leur souverain (…). Ils déclarèrent qu’ils la reconnaissaient toujours pour leur dame et maîtresse, et qu’ils la défendraient envers et contre tous (Montalembert,Ste Élisabeth,1836, p. 186).La vérité est que, de tout temps, les bons maîtres et les bons serviteurs furent rares. On trouve de par le monde peu d’Epictètes et peu de Marc-Aurèles (A. France,Pt Pierre,1918, p. 200).V. esclave ex.1:
Différence entre l’esclave et le citoyen (Montesquieu, Rousseau…): l’esclave est soumis à son maître et le citoyen aux lois. Par ailleurs le maître peut être doux et les lois très dures: cela ne change rien. Tout gît dans la distance entre le caprice et la règle. S. Weil,Pesanteur,1943, p. 157.
Nul ne peut servir deux maîtres. [P. réf. à la Bible, Matth. 6,24, où les deux maîtres évoqués sont Dieu et Mammon] Le choix est nécessaire entre deux causes, deux partis, deux attitudes opposées ou contradictoires:
Ainsi [dans la pensée politique de Dante], par une sagace division du travail que l’Évangile n’avait pas prévue, le chrétien pourra servir à la fois deux maîtres, Dieu pour le ciel et Mammon pour la terre, et partager son âme entre deux obédiences absolues chacune et ultimes chacune, celle de l’Église pour le ciel, celle de l’État pour la terre. Maritain,Human. intégr.,1936, p. 30.
− Au fig. Celui auquel une femme est asservie moralement, sentimentalement ou socialement. En grandissant j’obéirai à un nouveau maître et je n’aurai jamais pour lui le quart de la tendresse que j’ai pour vous (Staël,Lettres jeun.,1779, p. 13).V. amant ex. 30 et art. maîtresse.
2. Celui, celle qui exerce un pouvoir.
a) Celui, celle qui exerce le pouvoir politique, qui a des sujets, gouverne un ou plusieurs peuples. Un maître absolu, souverain; le maître de Rome, d’un pays, d’un royaume; les maîtres de l’État, de l’Europe; les maîtres du jour, de l’heure. Rome fut fondée par des brigands, et Rome n’en devint pas moins la maîtresse du monde (La Martelière,Robert,1793, iv, 1, p. 43).Au fond, il pensait aussi que ceux qui ont la charge de la chose publique sont, par définition, des experts rompus à toutes les difficultés internationales (…). Le crédit qu’il apportait aux gouvernants français s’étendait, de même, aux maîtres des autres pays (Martin du G.,Thib.,Été 14, 1936, p. 143):
3. J’entends par despotisme un gouvernement où la volonté du maître est la seule loi; où les corporations, s’il en existe, ne sont que ses organes; où ce maître se considère comme le seul propriétaire de son empire et ne voit dans ses sujets que des usufruitiers… Constant,Esprit de conquête,1813, p. 218.
− Expressions
♦ Le roi, l’empereur mon maître. [Formule utilisée par les ambassadeurs pour désigner leur souverain] Le maire de Véretz n’a pas mis un gant de fer, comme fit l’ambassadeur pour souffleter ce pape au nom du roi son maître (Courier,Pamphlets pol.,Gaz. vill.,1823, p. 184).
♦ Ni Dieu, ni maître. [Devise de Blanqui et des anarchistes] Le bon Hercule parcourait la terre, ne reconnaissant ni Dieu ni maître hors de son propre sentiment et de son serment à lui-même. Tel est l’homme libre (Alain,Propos,1922, p. 363).
b) Les maîtres du monde, de la terre. Ceux qui détiennent un grand pouvoir temporel; les puissants, les riches. Il était devenu, en quelques jours, un des maîtres du monde, un de ces financiers omnipotents, plus forts que des rois (Maupass.,Bel-Ami,1885, p. 327).[Chez Feuerbach] le christianisme transcendant, celui de l’au-delà, affermit les maîtres de la terre par le renoncement de l’esclave et suscite un maître de plus au fond des cieux (Camus,Homme rév.,1951, p. 183).
c) Au fig. Le Maître du monde, de l’univers; le Maître souverain. Dieu. Après avoir élevé les yeux de ton intelligence vers le souverain Maître de l’univers (Crèvecoeur,Voyage,t. 3, 1801, p. 140).
− Le (divin) Maître. Jésus-Christ. Charitable comme Jésus-Christ, humble comme ce divin Maître, il [un missionnaire] ne cherchoit à convertir les âmes au Seigneur, que par des actes de bienfaisance (Chateaubr.,Natchez,1826, p. 157).Aujourd’hui, je ne m’appartiens plus, je suis lié à un Maître qu’il faudra servir sans défaillance. Mais ce Maître, c’est Jésus, qui a poussé l’amour pour moi jusqu’aux humiliations de l’Incarnation (Billy,Introïbo,1939, p. 156).
3. Celui, celle qui a la prééminence (dans un domaine, dans un lieu), qui peut y faire prévaloir son autorité. Le maître, la maîtresse de céans; être (le) maître en un lieu. La puissance civile, devenue maîtresse dans l’Église (Lamennais,Relig.,1825, p. 105).Le patricien romain était chef de famille, maître supérieur. Il était de plus magistrat religieux, pontife dans l’intérieur de sa famille (Guizot,Hist. civilisation,leçon 4, 1828, p. 13):
4. Dans l’Occident, dominé par les femmes, culte de la souffrance; dans l’Orient, où l’homme est le maître, culte de la sagesse. Montherl., Démon bien,1937, p. 1345.
− Expr., loc., proverbes
♦ Maître, maîtresse de (la) maison. Celui, celle qui dirige la maison, et en particulier, assure la réception des hôtes. Un bon maître de maison; faire la maîtresse de maison. Debout l’un près de l’autre, comme le maître et la maîtresse de maison, quand les invités arrivent (Giraudoux,Sodome,1943, ii, 8, p. 145):
5. Tout nouveau venu qui entrait dans la gargote disait en voyant la Thénardier: voilà le maître de la maison. Erreur. Elle n’était même pas la maîtresse. Le maître et la maîtresse, c’était le mari. Elle faisait, il créait. Il dirigeait tout par une sorte d’action magnétique invisible et continuelle. Hugo,Misér.,t. 1, 1862, p. 459.
Servante(-)maîtresse. Servante qui joue le rôle de la maîtresse de maison et qui éventuellement jouit des prérogatives de celle-ci. Le mari a sa femme, le garçon a la maîtresse; et le garçon qui n’a pas la maîtresse a la servante-maîtresse (Goncourt,Journal,1860, p. 844).Une vieille bonne (…), une de ces servantes maîtresses qui sont les tyrans des familles (Maupass.,Contes et nouv.,t. 2, M. Parent, 1886, pp. 586-587).
♦ Charbonnier (est) maître chez lui (ou chez soi). V. charbonnier II A 2 a.
♦ (Capitaine) seul maître à bord (après Dieu). [S’emploie pour désigner qqn qui a plein pouvoir dans son domaine, a la haute main sur la direction d’une action, d’une affaire] Le patron du Nord qui est le père d’une sorte de famille et seul maître à bord comme dans son foyer (Mounier,Traité caract.,1946, p. 91):
6. Tout chef est un pilote. De grands courants historiques emportent le navire qu’il gouverne. Il sait commander s’il est capable de se servir de ces courants, et des faiblesses même de l’équipage, pour mener à bon port ses passagers. Et je consens qu’il soit maître à son bord. Mais pour la durée de la traversée. Maurois,Dialog. commandement,1924, p. XXX.
♦ Être son maître, sa maîtresse. Être indépendant, avoir la faculté d’agir à sa guise, de disposer librement de soi. Ah! Quand ne serai-je plus reine pour être ma maîtresse! (Scribe,Verre d’eau,1840, ii, 1, p. 661).Il y a bien longtemps que la femme me dit: «Mettons-nous sur notre terre, Désiré, on sera nos maîtres.» (Giono,Regain,1930, p. 221).
Vx. Être maître, maîtresse de soi. Même sens (v. aussi infra I B 2 c). Annette est libre, elle est maîtresse d’elle-même, et il faut lui plaire (Balzac,Annette,t. 2, 1824, p. 111).Elle [la femme romaine] n’a rien de ce qui donne l’autorité dans la maison. Jamais elle ne commande; elle n’est même jamais libre ni maîtresse d’elle-même (Fustel de Coul.,Cité antique,1864, p. 103).
♦ En maître. Avec l’autorité de celui qui fait ou prétend faire la loi (v. aussi infra II B 1 c). Agir, commander, parler, s’installer, régner en maître. Au bout de quelque temps, on put voir qu’il avait adopté deux ou trois garçons plutôt humbles, de caractère faible, vers lesquels il allait, sitôt qu’il les avait aperçus, avec des gestes qui commandaient; et il se mettait à discourir en maître parmi eux, le verbe haut et assuré (Lacretelle,Silbermann,1922, p. 26).
♦ Trouver, rencontrer, voir son maître. Trouver plus fort que soi, rencontrer la personne devant laquelle on doit s’incliner. Par mer il [Napoléon] est accouru; L’étranger va voir son maître (Béranger,Chans.,t. 3, 1829, p. 237).Il est bien évident que mon père, que le personnage terrible, irréductible, vient de rencontrer son maître, c’est-à-dire un homme capable de crier plus fort que lui (Duhamel,Terre promise,1934, p. 165).
♦ Être maître. Avoir l’avantage, la supériorité (sur qqn). Goupil était un des forts; il était souvent resté maître dans ces tournois nocturnes (Pergaud,De Goupil,1910, p. 53).Nous subissons une loi de la guerre, que nous ne pouvons éluder. L’ennemi est maître (Van der Meersch,Invas. 14,1935, p. 132).
Être le maître de qqn (dans un domaine). Lui être supérieur, être un modèle pour quelqu’un, lui donner des leçons. Ô femmes! Vous êtes nos maîtresses en fourberie! Qui peut lutter contre vous? (Restif de La Bret.,M. Nicolas,1796, p. 173).En art, en littérature, les anciens sont nos maîtres (Ac.1935).
JEUX. Être maître à une couleur. Avoir la carte la plus forte dans la couleur demandée. Être maître en atout, maître en pique (Nouv. Lar. ill.).
4. Au fig. [Désignant une chose] Ce qui domine, gouverne (quelqu’un ou quelque chose). L’estomac dérangé commande en maître, mais en maître bien indigne de régner, car il remplit mal ses fonctions, et arrête tout le reste (Delacroix,Journal,1847, p. 184).Il s’inclinait devant la nécessité, maîtresse des hommes et des dieux (A. France,Vie fleur,1922, p. 361):
7. Tout l’acte de la construction exige une coordination aussi parfaite que possible entre la mimique, la figuration et la musique, laquelle est ici souveraine maîtresse et doit commander l’action des personnages et des matériaux mouvants. Valéry,Variété III,1936, p. 108.
B. − Personne qui a quelque chose en sa possession ou en sa puissance.
1. Propriétaire (d’un bien). Maître, maîtresse d’une terre, d’une ferme, d’un capital; l’argent n’a point de maître (proverbe). Mon petit journal de la France catholique vient de changer de maître. M. Jean, le directeur, l’a acheté des premiers propriétaires (M. de Guérin,Corresp.,1834, p. 145).Voyez le maître des domaines quand il marche le long des chemins dans la rosée de l’aube, tout seul et n’emportant rien de sa fortune (Saint-Exup.,Citad.,1944, p. 547):
8. Pendant que la terre limitée devient un temple et représente le ciel, l’homme de la terre, le maître du champ et de la demeure qui s’y place devient comme un dieu. Michelet,Hist. romaine,t. 1, 1831, p. 53.
♦ En partic. Possesseur (d’un animal domestique). Le chien et son maître. Elle [une chèvre] se roula gracieusement sur les pieds de sa maîtresse, sollicitant un mot ou une caresse (Hugo,N.-D. Paris,1832, p. 356).
− Expr. et loc.
♦ Maison de maître. Maison de campagne habitée par le propriétaire; p. ext., maison spacieuse, opulente. Deux de ces vieilles demeures pourtant sont encore des maisons de maîtres. Les Larroque et les Desqueyroux ont laissé leurs logis d’Argelouse tels qu’ils les reçurent des ascendants (Mauriac,Th. Desqueyroux,1927, p. 186).Il avait loué (…) une maison de maître accotée à une ferme, un château selon la terminologie de la région (Vailland,Drôle de jeu,1945, p. 130).
♦ Cheval, voiture de maître. Cheval, voiture utilisé(e) par le propriétaire. Anton. cheval, voiture de louage.Il n’y avait que les voitures de maître et les fiacres de luxe qui avaient des pneus (Triolet,Prem. accroc,1945, p. 274).
♦ [P. réf. à la fable de La Fontaine iv, 21] L’œil du maître. Le coup d’œil exercé, la surveillance attentive du propriétaire. Le plaisir de Joseph se trouvait gâté par mille petits détails fâcheux qu’il ne pouvait pas ne point remarquer, car rien ne saurait échapper à l’œil du maître (Duhamel,Passion J. Pasquier,1945, p. 182).
− DR. Biens sans maître. Biens abandonnés, sans propriétaire. Tous les biens vacans et sans maître, et ceux des personnes qui décèdent sans héritiers, ou dont les successions sont abandonnées, appartiennent à la nation (Code civil,1804, art. 539, p. 100).
2. [Le plus souvent dans des loc. verb.] Être (devenir, se rendre, rester) maître, maîtresse, ou, plus rarement, le maître, la maîtresse de qqc. Avoir quelque chose sous sa domination, sous son contrôle, pouvoir en disposer à son gré. Être maître de la situation, des événements, des phénomènes; être maître de son sort, de sa vie, de la vie de qqn. Croyez-vous que la compagnie n’a pas autant à perdre que vous, dans la crise actuelle? Elle n’est pas la maîtresse du salaire, elle obéit à la concurrence, sous peine de ruine (Zola,Germinal,1885, p. 1323).L’individualisme symbolise l’élan de l’Européen, impatient de toute entrave, pour conquérir le monde, se rendre maître de la nature par la connaissance et l’invention (Lefebvre,Révol. fr.,1963, p. 165):
9. Voilà l’esprit maître de l’espace, et des secrets dévoilés. Le voilà maître du bonheur, maître du temps, seule maîtrise qui permette celle du bonheur. Durry,Nerval,1956, p. 124.
− En partic.
a) Dans le domaine milit.[Le compl. désigne un lieu, une position] Conquérir, occuper, tenir en sa possession par la force. Être, se rendre maître du champ de bataille, d’une place, d’une ville. Le bailli de Suffren s’illustra comme un de nos plus grands marins. L’Angleterre n’était plus la maîtresse incontestée des mers (Bainville,Hist. Fr.,t. 2, 1924, p. 14).Nous ne pouvions suspendre nos opérations de marche vers Berlin qu’une fois maîtres de la position du Rhin (Foch,Mém.,t. 2, 1929, p. 284).
b) [Le compl. désigne un phénomène matériel, une force physique émanant d’une chose ou d’un être] Avoir, réduire en son pouvoir par la contrainte ou par un effort physique. Être, se rendre maître d’un incendie, d’une émeute, d’un animal, d’un véhicule. Malgré leurs efforts, le ballon s’abaissait toujours, en même temps qu’il se déplaçait avec une extrême vitesse, suivant la direction du vent (…). Ils n’étaient évidemment plus maîtres de l’aérostat (Verne,Île myst.,1874, p. 5).Alban penché, les dents serrées, tout le visage serré, épiait la seconde où ce ne serait plus lui qui serait maître de l’animal, mais l’animal qui serait maître de lui (Montherl.,Bestiaires,1926, p.417).
c) Souvent en emploi adj. (Être) maître de + subst.
α) [Le compl. désigne un mouvement du corps, du coeur ou de l’esprit] Soumettre au pouvoir de la raison, de la volonté. Être maître de ses gestes, de ses nerfs, de ses passions, de ses idées. Sous le coup d’une terreur panique dont je n’étais plus le maître, je me jetai à deux genoux au pied de mon lit (Vallès,Réfract.,1865, p. 38).Je le vis très calme et très maître de sa pensée; très maître aussi de ses yeux qu’il ne fermait plus (G.Leroux,Parfum,1908, p. 79).Quand je suis dans mes mauvais moments je ne suis plus tout à fait maîtresse de mes associations d’idées (Claudel,Ours et lune,1919, 2, p. 603).
♦ Être maître de soi. Dominer ses passions, ses impulsions, agir ou réagir sous le contrôle de la volonté. Synon. se posséder, se maîtriser.Elle m’a montré ce que c’était qu’une femme forte et maîtresse d’elle-même (J. Bousquet,Trad. du silence,1935, p. 36).Maître de l’événement comme il était le maître de soi (Montherl.,Lépreuses,1939, p. 1396):
10. … il ne fallait rien moins que sa dignité de témoin et ce sang de soldat qui coulait dans ses veines, pour dominer ses alarmes fraternelles et le contraindre à demeurer calme, froid, parfaitement maître de lui. Ponson du Terr.,Rocambole,t. 3, 1859, p. 403.
β) [Le compl. désigne un objet de connaissance, une discipline, une technique] Connaître de manière approfondie, posséder, maîtriser. On peut reconnaître les hommes vraiment habiles et maîtres de leur sujet au ton de simplicité et de bonhomie qu’ils mettent dans leurs discours (Maine de Biran,Journal,1816, p. 149).C’était en vain que pendant des années, Gustave s’était enfermé dix heures par jour pour se rendre maître du droit, de l’économie, de l’histoire − et aussi de la stratégie (Drieu La Roch.,Rêv. bourg.,1937, p. 203).
d) Être maître de + inf. Avoir la liberté, la possibilité de faire quelque chose. Je desire vous fixer dans ma cour, cependant vous êtes le maître de la quitter (Genlis,Chev. Cygne,t. 2, 1795, p. 5).La duchesse avait passé à la promulgation d’autres décrets qui, s’appliquant à des vivants, pussent lui faire sentir qu’elle était maîtresse de faire ce que bon lui semblait (Proust,Fugit.,1922, p. 577).
II. – Personne qui a autorité ou fait autorité dans un domaine d’activité.
A. −
1. Celui, celle qui a la responsabilité, la direction d’une affaire, d’un service, de l’exécution d’une tâche.
a) Dans le domaine industr.
− Maître de forges. Propriétaire d’importantes aciéries dont il assure la direction et l’administration. V. forge B 2 ex. de Barrès et de Lesourd, Gérard.
− Maître d’ouvrage, maître de l’ouvrage. Personne physique ou morale qui commande l’exécution d’un ouvrage et en assure le financement. V. infra Gds ensembles habit., 1963, p. 8.
− Maître d’oeuvre, maître de l’oeuvre. Personne physique ou morale, mandataire du maître d’ouvrage et responsable de l’exécution des travaux. Dans la construction de ces centrales, l’E.D.F. joue à la fois le rôle de maître de l’oeuvre et d’architecte industriel (Goldschmidt,Avent. atom.,1962, p. 249).L’architecte en chef est maître d’oeuvre responsable. Il coordonnera l’exécution selon le programme approuvé par le maître d’ouvrage (Gds ensembles habit.,1963, p. 8).
P. anal. Celui qui assure la conception, la direction, la réalisation de travaux intellectuels, artistiques, scientifiques. On sent quelle est la grandeur du rôle d’un Kapellmeister wagnérien (…). Il est vraiment le «maître de l’oeuvre» ainsi qu’on appelait au moyen-âge l’architecte d’une cathédrale (P. Lalo,Mus.,1899, p. 174).À la pointe agissante de notre civilisation, le scientifique est le maître d’oeuvre de la grande entreprise de conquérir le monde extérieur (Huyghe,Dialog. avec visible,1955, p. 57).
b) Dans le domaine comm.
− Vieux
♦ Maître, maîtresse d’auberge, de café. Personne qui tient une auberge, un café dont elle est en général propriétaire. Le lendemain à dix heures, Gazonal (…) attendit son amphitryon en piétinant pendant une heure sur le boulevard, après avoir appris du cafétier (nom des maîtres de café en province) que ces messieurs déjeunaient habituellement entre onze heures et midi (Balzac,Comédiens,1846, p. 302).
♦ Maître, maîtresse de pension. Celui, celle qui tient une pension, en particulier une maison d’éducation. Le maître et la maîtresse de pension chez lesquels je mange (Michelet,Journal,1828, p. 709).Son ancienne maîtresse de pension de la rue de Vaugirard lui avait souvent proposé de rentrer chez elle pour y enseigner le dessin (Theuriet,Mariage Gérard,1875, p. 156).
− Maître d’hôtel. V. hôtel A 2 a et b.
− Vx. Maître, maîtresse de poste. Celui, celle qui tient un relais de poste aux chevaux. Madame Gélinotte (…) autrefois maîtresse de poste à Châtellerault (Labiche,Deux papas,1845, xiv, 1, p. 626).Les maîtres de poste vous louaient leurs chevaux à raison de vingt centimes le kilomètre (Fargue,Piéton Paris,1939, p. 28).
c) Dans le domaine des activités artistiques et des sports
− CHORÉGR. Maître de ballet (fém. maître ou maîtresse de ballet). Collaborateur du directeur artistique d’une troupe ou d’une compagnie de ballet, ayant la responsabilité de l’ensemble du spectacle (d’apr. Baril 1964). Elle danse, comme devant, et connaît trois puissants dieux: le directeur du Grand-Théâtre, la maîtresse de ballet et le patron de l’hôtel (Colette,Music-hall,1913, p. 128).V. ballet ex. 2.
− CHASSE. Maître d’équipage. Propriétaire des équipages (v. ce mot A 2 a) qui préside à l’organisation et à la direction d’une chasse à courre. La chasse continuait pourtant, et Angèle le savait. Et elle croyait savoir le nom du maître d’équipage (Vialar,Bête de chasse,1952, p.89).
d) Dans le domaine de l’éduc.
− Maître, maîtresse d’internat. V. internat A 2 a.
− Vieilli. Maître d’étude. V. étude III A 2.Synon. vieilli ou vx maître de quartier*, maître répétiteur*, sous-maître*.
2. [Fém. dans qq. emplois] Personne qui dirige des ouvriers, des employés, des subordonnés. Maître, maîtresse d’atelier.
a) Personne qui dirige à titre de patron, d’employeur (v. aussi infra II B 1). Maître charpentier; maître menuisier. Il n’y a pas de maîtresse lingère ou autre qui ne recommande à ses filles de boutique de parler au monde poliment (Musset,Mimi Pinson,1845, p. 218).Les maîtres sont obligés d’envoyer deux heures par jour à l’école tous les enfants de douze à quinze ans qui travaillent dans leurs ateliers (Taine,Notes Anglet.,1872, p.314).Il [un vieux maçon] n’était employé par les maîtres maçons que dans les temps de grande presse, et on lui confiait volontiers le soin de gâcher le mortier (R. Bazin,Blé,1907, p.192).
− Maître imprimeur. Chef d’une entreprise d’imprimerie. On ne la trouve [une certaine «méchanceté professorale»] ni chez les typos ni chez les maîtres imprimeurs. On ne la trouve ni chez les éditeurs ni chez les libraires (Péguy,Argent,1913, p. 1192).
b) Celui qui est le chef d’une équipe. Maître(-)compagnon, maître(-)garçon, maître(-)ouvrier, maître(-)porion, maître(-)valet, etc. Celui qui a autorité sur des compagnons (surtout dans le domaine de la maçonnerie), des garçons de boutique, des ouvriers, des porions, des valets de ferme, etc. Trop heureux jusque-là d’avoir trouvé ce travail de bagne, acceptant la brutale hiérarchie du manoeuvre et du maître ouvrier (Zola,Germinal,1885, p. 1169).Les domaines alors avaient l’aspect de colonies, avec leurs maîtres-valets, leurs bouviers, leurs charretiers, leurs «brassiers» ou ouvriers de main (Pesquidoux,Livre raison,1925, p. 44).La victime serait un certain Jean Niclot, dit Jean-Jean, maître-garçon aux abattoirs de la Villette (Arnoux,Paris,1939, p. 301).
− Maître(-)clerc. V. clerc C 1.
− Maître(-)coq. V. coq2et maître-queux (s.v. queux).
c) Spécialement
− Dans les métiers de l’armée.Maître ouvrier des corps de troupe. Ouvrier qualifié ayant grade de sous-officier, travaillant dans les corps de troupe sous le contrôle du service de l’Intendance et dirigeant un atelier. Maître bottier. C’était même une chose connue, qu’il avait quelque part, en ville, chez un ami, une complète tenue de fantaisie pour les jours de grandes permissions: un dolman de sous-officier (…), ainsi qu’un pantalon de cheval, retouché sur lui-même par le maître tailleur (Courteline,Train 8 h 47,1888, i, 1, p. 11).V. aussi commissionner ex. 1.
− MARINE
♦ Maître d’équipage ou, absol., maître.
Vx, dans la mar. milit.Officier marinier, premier maître de manoeuvre, ayant autorité sur tout l’équipage. Malgré toutes mes précautions cependant, le maître d’équipage passa à travers une crevasse qu’il eût été possible d’éviter; mais chacun sait combien il est difficile d’être prudents avec des matelots (Bellot,Voy. mers polaires,1863, p. 152).
Dans la mar. marchande.Marin qualifié chargé de diriger l’équipage du pont. Le personnel du pont est encadré par une maistrance qui comprend d’abord les «maîtres d’équipage». Ce sont généralement des marins confirmés par plusieurs années de navigation et qui ont le sens de l’autorité (M. Benoist, Pettier,Transp. mar.,1961, p. 157).
♦ MAR. NAT. Maître chargé ou, suivi du nom de la spécialité, maître de manoeuvre, maître canonnier, maître fusilier, maître électricien, maître fourrier, maître commis, etc. Officier marinier le plus gradé dans sa spécialité, chargé du matériel d’un service. Sur sa robe de vieux satin noir un grand col bleu de maître-timonier (A. Daudet,Sapho,1884, p. 168).
♦ MAR. MARCHANDE. Maître au cabotage. ,,Marin qui ayant passé des examens spéciaux, a le droit de commander un navire armé au cabotage« (Soé-Dup. 1906).
3. [Comme titre donné aux détenteurs de certaines charges, de certaines dignités, de certains postes]
a) Maître des requêtes au Conseil d’État (fém. maître). Membre du Conseil d’État, situé hiérarchiquement au-dessus des auditeurs et au-dessous des conseillers, chargé de présenter des rapports sur les affaires qui lui sont soumises. Un quart des postes de maîtres de requêtes et un tiers de ceux de conseillers peuvent être pourvus «au tour extérieur», c’est-à-dire par nomination, effectuée par le gouvernement, de personnes réunissant les conditions d’âge et de service public prévues par la réglementation (Belorgey,Gouvern. et admin. Fr.,1967, p. 40).
b) Dans le domaine de l’enseign. sup. et de la rech.
♦ Maître(-)assistant (fém. maître). Membre de l’enseignement supérieur situé hiérarchiquement entre l’assistant et le maître de conférences, chargé d’un service d’enseignement et de certains travaux de recherche. La représentation des enseignants exerçant les fonctions de professeur, maître de conférences, maître-assistant (…), doit être au moins égale à celle des étudiants dans les organes mixtes, conseils et autres organismes où ils sont associés (Loi orient. Enseign. sup.,1968, p. 10).
♦ Maître de conférences (fém. maître). V. conférence C 1 a.
♦ Maître de recherche (fém. maître). Membre du corps des chercheurs au Centre national de la recherche scientifique, situé hiérarchiquement entre le chargé de recherche et le directeur de recherche. Lorsque les nécessités du service le demandent, les maîtres de recherche peuvent être maintenus en fonction jusqu’à 70 ans s’ils réunissent les conditions intellectuelles et physiques suffisantes (G. Druesne,Le Centre nat. de la rech. sc.,Paris, Masson, 1975, p. 277).
♦ HIST. DE L’ÉDUC. Grand(-)maître de l’université. Le ministre chargé de l’enseignement. Le grand-maître aura la nomination aux places administratives et aux chaires des collèges et des lycées; il nommera également les officiers des académies et ceux de l’université (Doc. hist. contemp., Décret sur l’organ. de l’université, 1808, p. 132).
c) Dans le domaine des instit. relig.Maître du Sacré-palais. ,,Dominicain qui a pour mission de surveiller au point de vue de la foi, tout ce qui se publie ou s’imprime et déjà au Vatican« (Marcel 1938). Le Maître du sacré palais a dans son département la censure des livres qui sortent des presses de l’État ecclésiastique (Stendhal,Rome, Naples et Flor.,t. 2, 1817, p. 364).
d) HIST. Maître des hautes, des basses oeuvres (vx). Le bourreau. Synon. exécuteur des hautes, des basses oeuvres (v. bas ex. 52).
e) HISTOIRE
− [Au Moy. Âge et sous l’Anc. Régime]
♦ Maître des comptes. Officier de justice des chambres de comptes établies dans les principales villes françaises, situé hiérarchiquement au-dessous du président. Que dis-tu de notre maître des comptes, La Chapelle-Marteau? (Dumas père, Henri III,1829, i, 3, p. 129).Mod. Conseiller(-)maître à la Cour des Comptes. V. conseiller II C.
♦ Maître des eaux et forêts. Officier royal ayant inspection et juridiction sur les eaux et forêts d’une circonscription. Maître particulier; grand(-)maître. La Fontaine, tout maître des Eaux et Forêts qu’il est, ne nous présente ici [dans Adonis] qu’une vénerie de rhétorique pure (Valéry,Variété[I], 1924, p.85).
♦ [Désignant certains dignitaires de la cour] Grand(-) maître de France; maître, grand(-)maître des cérémonies, de la garde-robe. Le sire de Neufchâtel grand-maître de la maison; le sire de Toulongeon, grand-maître de l’écurie (Barante,Hist. ducs Bourg.,t. 4, 1821-24, p. 184).
− HIST. ROMAINE. Maître de la cavalerie. Magistrat exceptionnel et inamovible, auxiliaire principal du dictateur et choisi par celui-ci. C’est ce jeune guerrier couvert de blessures, qui triompha de Carrausius; c’est le maître de la cavalerie; c’est le préfet des Gaules (Chateaubr.,Martyrs,t. 2, 1810, p. 179).Lépide fut maître de la cavalerie de César dictateur (Pell.1972).
4. [Désignant le titulaire d’un grade]
a) MAR. Officier marinier de la marine militaire (et, p.anal., de la marine marchande), dont le grade, intermédiaire entre celui de second maître et celui de premier maître, correspond au grade de sergent-major dans l’armée de terre. V. infra ex. de Bonn.-Paris 1859.
♦ [Précédé ou suivi d’un adj. pour désigner les grades inférieurs ou supérieurs à celui de maître] Maître principal. V. aussi contremaître A et quartier-maître.Le Maître et le premier Maître sont choisis parmi les seconds Maîtres qui ont servi, au moins pendant six mois, à bord d’un vaisseau ou d’une frégate, ou d’une corvette de 24 bouches à feu, dans la première classe du grade de second Maître (Bonn.-Paris1859).Il apercevait tout à fait à l’avant, sous le gaillard, l’entrée du poste des matelots et des cabines d’Holmès, des seconds maîtres et du charpentier (Peisson,Parti Liverpool,1932, p. 112).
− P. ext., au plur. Ensemble des officiers mariniers d’un navire. Dans tous les entreponts habités [d’un navire de guerre] (logements des officiers et des maîtres, poste de l’équipage, etc.), on recouvre le platelage en acier de linoléum (Croneau,Constr. nav. guerre,t. 1, 1892, p. 366).Le poste des maîtres, la cuisine des maîtres, le canot des maîtres (Le Clère1960).
b)
α) [Dans un ordre civil ou milit., un ordre de chevalerie] Celui qui dirige, le chef. Grand maître de l’ordre de Malte; grand maître des Templiers, des Hospitaliers. Parmi les grands vassaux, les plus puissants (…) étaient les chefs ou Maîtres des ordres de chevalerie établis en Espagne vers le milieu du douzième siècle (…). Un Maître exerçait sur les frères de son ordre une autorité (…) absolue (Mérimée,Don Pèdre Ier,1848, p. 22).
♦ Grand Maître de (l’ordre de) la Légion d’honneur. Le président de la République est le Grand Maître de la Légion d’honneur (Quillet1965).
β) [Dans une loge maçonnique] Franc-maçon qui a le troisième grade. L’initiation, dont les épreuves permettent au profane de devenir apprenti, puis d’accéder aux grades de compagnon et de maître, revêt à la fois une signification symbolique − la renonciation aux habitudes du monde et la découverte de la «lumière» − et une valeur éducative − la préparation au langage des symboles (Encyclop. univ.t. 101971, p. 258).
♦ Grand maître. ,,Chef d’un pouvoir maçonnique qui régit un ensemble de loges« (Lar. 20e).
c) ARM. Maître de camp. V. mestre1.Don Gregorio Obregon, qui reprend le grade de maître de camp dans les troupes de débarquement (Montherl.,Maître Sant.,1947, i, 4, p. 609).
B. − [Exprimant un degré de qualification professionnelle ou le statut qui y est attaché]
1. [Dans le domaine des métiers]
a) [Au Moy. Âge et jusqu’au xixes.] Celui qui, ayant accompli son apprentissage et réalisé le chef-d’oeuvre, avait obtenu les lettres de maîtrise et était reçu dans un corps de métier (ce qui lui conférait le droit d’avoir des compagnons et des apprentis). Passer maître; maître juré; maître charpentier, maître drapier, maître sonneur. Fils d’un maître coutelier, reçu maître lui-même dès son enfance, il allait quelquefois servir la messe aux Blancs-Manteaux, où un religieux le distingua, lui apprit le rudiment (Sainte-Beuve,Caus. lundi,t. 6, 1852, p.262).Autrefois, les fêtes patronales étaient célébrées par les maîtres comme par les ouvriers. On se faisait des invitations mutuelles. Tout fraternisait en ces beaux jours. Les maîtres ont laissé crouler leurs associations, leurs confréries (…). Mais la vieille tradition se conserve parmi les compagnons, et cela dans chaque métier, dans toutes les Sociétés, dans tous les devoirs (A. Perdiguier,Mém. d’un compagnon,Paris, Maspéro, 1977[1852-53], pp. 318-319):
11. L’industrie est assez prospère pour que les étuveurs soient constitués en métier: ils sont trois jurés élus par les maîtres, et ils sont soumis à des règlements dont les uns concernent l’hygiène et les autres la morale. Faral,Vie temps st Louis,1942, p. 192.
− Au fém. Les Maîtresses étaient dans les Communautés de marchandes et ouvrières, ce qu’étaient les Maîtres (…) dans les Communautés des marchands et ouvriers (Havard t. 3 1889, s.v. maîtresse).
b) Mod., DR. COMM. Maître(-)artisan. ,,Le titre de maître-artisan en son métier constitue la reconnaissance d’une habileté technique, une qualification supérieure dans [le] métier et une culture professionnelle attestée par la possession du brevet de maîtrise« (Décret du 1ermars 1962 ds J. Robert, L’Artisanat et le secteur des métiers, Paris, A. Colin, 1966, p. 77). V. artisan I A dr. comm.
− [Suivi d’un subst. indiquant le métier pour lequel la qualification a été reconnue] V. aussi supra II A 2 a.Cette consécration, c’est l’examen avec ses diverses épreuves dont le résultat permettra à l’élu de se dire maître en serrurerie d’art, maître serrurier constructeur, maître réparateur de serrurerie, etc… ou maître en toutes matières (Fillon,Serrurier,1942, p.44).
Rem. La lang. comm. actuelle abonde en composés où le 1erélém. maître semble seulement destiné à indiquer l’habileté de celui qui exerce le métier en question. Maître-tapissier, maître-verrier. 8 Français sur 10 pourraient recevoir leurs amis autour d’un feu de bois. R.L.D., maître-atrier répond à leurs questions (Femmes d’aujourd’hui, 23 oct. 1968). J.L., Maître-rôtisseur: Grillades au feu de bois (Le Monde 7 avr. 1966 ds Gilb. Mots nouv. 1971).
c) P. anal.
α) [Placé devant un autre subst. pour indiquer le degré de perfection atteint dans un art, une spécialité, un type de comportement ou pour renforcer une qualification injurieuse] Un maître écrivain; un maître sot; un maître filou. Elle m’a prouvé qu’elle reste une maîtresse femme de ménage (Renard,Journal,1901, p. 676).Sénac aurait-il quand même l’étoffe d’un bon salaud moyen, sinon d’un maître salopard? (Duhamel,Maîtres,1937, p. 215).Le maître-argotier Émile Chautard, un simple prote d’imprimerie (Cendrars,Bourlinguer,1948, p.242).
♦ Maîtresse femme. V. femme I B 2 a.P. anal. Maître homme. Homme très habile dans son domaine. Il attendait l’attaque et toujours triomphait. Ah! celui-là, c’était un maître homme (Coppée,Pour couronne,1895, p. 270).
β) Locutions
♦ Être, passer maître en, dans qqc. Être, devenir très habile dans un art, une science, un type de comportement. V. aussi infra II C 3.J’avais cru d’abord que son art, où il était vraiment passé maître, lui avait donné des supériorités qui dépassaient la virtuosité de l’exécutant (Proust,Sodome,1922, p.1032):
12. Je vais dévoiler tous les mystères: mystères religieux ou naturels, mort, naissance, avenir, passé, cosmogonie, néant. Je suis maître en fantasmagories. Écoutez!… Rimbaud,Saison enfer,1873, p. 221.
Rem. Dans cette loc., la forme fém. est attestée au xixes. Vous voilà maîtresse passée en fait de ressources d’esprit et de patience (M. de Guérin, Corresp., 1837, p. 281). Bibi-Djânèm, passée maîtresse en ce genre d’escrime (Gobineau, Nouv. asiat. 1876, p. 128). À l’époque mod., l’élém. subst. paraît inv. Elle est passée maître dans l’art de mentir (Pt Rob.). Je suis passée maître en gentillesse, souriants baisers, formules embaumées (A. Sarrazin, La Traversière, p. 17 ds Rey-Chantr. Expr. 1979).
♦ Coup de maître. Œuvre parfaitement réussie; action d’éclat. Au point où il en est, un beau mariage serait un coup de maître (Augier,Effrontés,1861, iv, p. 333).
♦ De main de maître. D’une manière magistrale; avec une habileté consommée ou avec une grande force. Le jeune homme, s’échauffant peu à peu, devient furieux, et rosse de main de maître l’impertinent qui le provoque (Brillat-Sav., Physiol. goût, 1825, p. 15).On doit avouer que la discussion du problème est conduite de main de maître. Il faut seulement ajouter que cette maîtrise même ne fait que mieux souligner les dangers de la position (Gilson,Espr. philos. médiév.,1932, p. 28).
♦ (Faire qqc.) en maître. Même sens. Lord David hantait les cavernes (…). On l’appelait Tom-Jim-Jack. Sous ce nom, il était populaire, et fort illustre dans cette crapule. Il s’encanaillait en maître. Dans l’occasion, il faisait le coup de poing (Hugo, Homme qui rit,t. 2, 1869, p. 7).
2. [Dans l’Université]
a) Anciennement. Maître ès-arts. Celui qui avait obtenu les grades universitaires permettant d’enseigner les arts libéraux, en particulier les humanités et la philosophie. Un curé nommé Regnaud, maître ès-arts, homme fort estimé et honoré (Barante,Hist. ducs Bourg.,t. 4, 1821-24, p. 97).
b) Mod. Titulaire de la maîtrise (v. ce mot B 4 b).
C. − Celui, celle qui enseigne, instruit, qui a des élèves, des disciples.
1. Personne qui a pour rôle d’enseigner ou qui fait métier d’enseigner à titre public ou privé.
a) [Comme terme générique] M. Jacquinet, qui a été un des maîtres les plus appréciés de l’École normale (Lemaître,Contemp.,1885, p. 182).J’enviais surtout les élèves d’Alain, ceux qui avaient été initiés dès le commencement de leur vie aux grands anciens, alors qu’il ne s’agissait pour mes maîtres que de savoir ce qu’il fallait savoir pour être reçu au baccalauréat (Mauriac,Nouv. mém. intérieurs,Paris, Flammarion, 1965, p. 300).
b) En partic.
α) [Dans l’enseign. primaire]
− Maître, maîtresse (d’école). Celui, celle qui enseigne les matières élémentaires aux enfants dans un établissement scolaire ou dans le particulier. Synon. instituteur, précepteur.Tu vas maintenant apprendre le français, l’histoire, la géographie et l’arithmétique… Ta maîtresse viendra trois fois par semaine (Gyp,Souv. pte fille,1927, p. 67).Certes, le maître d’école n’est pas un savant, mais il unit à une grande expérience des choses de la terre une conscience nette comme un cristal (Menon, Lecotté, Vill. Fr., 1, 1954, p. 39).
♦ P. métaph. Leur maître principal [des petits Hugo] fut le jardin, où leur mère les laissait étudier le premier de tous les livres, la nature (MmeV. Hugo, Hugo,1863, p. 130).
− Élève-maître, élève-maîtresse. Personne qui se prépare aux fonctions d’instituteur en recevant une formation dans une école normale. Les élèves-maîtres et élèves-maîtresses pourvus du certificat de fin d’études normales n’ont qu’à subir l’épreuve pratique du certificat d’aptitude pédagogique pour être titulaires de ce dernier diplôme (Encyclop. éduc.,1960, p. 314).
β) [Dans l’enseign. secondaire] Maître, maîtresse auxiliaire. Enseignant, enseignante non titulaire, occupant un poste vacant ou assurant la suppléance en l’absence d’un professeur. Les maîtres auxiliaires ont les mêmes maxima de service que les professeurs donnant le même enseignement (Encyclop. éduc.,1960p. 324).
γ) Vieilli dans la plupart des emplois. [Suivi d’un compl. déterminatif ou d’un subst. apposé indiquant la spécialité] Celui, celle qui enseigne une discipline, un art, une science. Synon. mod. professeur.Maître, maîtresse de français, de chant; maître de danse ou maître à danser. Il vint chez nous (…), trois fois par semaine, un maître d’écriture, un maître de danse, une maîtresse de musique (Sand,Hist. vie,t. 2, 1855, p. 382).
♦ Maître d’armes. V. arme II C 1.
♦ Maître(-)nageur ou, vieilli, maître(-)baigneur. Professeur de natation, chargé aussi de surveiller le bain au bord de la mer ou dans un établissement thermal. Les maîtres baigneurs sont prudents, sachant rarement nager (Proust,J. fille en fleurs,1918, p. 685).
♦ Maître de manège. Celui qui, dans un établissement équestre, dirige les exercices, donne les leçons d’équitation. Synon. mod. instructeur, écuyer-professeur (cf. Tondra Cheval 1979).Dans les promenades avec le maître du manège, il était presque régulièrement jeté par terre (Stendhal,Rouge et Noir,1830, p. 264).
− Au fig. Celui ou ce qui donne la connaissance, l’expérience de quelque chose. Pour le Grec (…) la nature est (…) une maîtresse de droiture et de vertu (Renan,St-Paul,1869, p.205).Sur tous les territoires que les Allemands ont occupés, on recueille que les Prussiens sont des maîtres de férocité (Barrès,Cahiers,t. 11, 1918, p. 369).Il faut dire que c’est l’architecture qui est surtout maîtresse de style (Alain,Beaux-arts,1920, p.201).
c) RELIG. Maître, maîtresse des novices. Personne chargée de la formation et de l’instruction des novices dans un institut religieux. Retour de la mère Angélique à Port-Royal (elle y a charge de maîtresse des novices et y fait des conférences qui renouvellent l’esprit) (Sainte-Beuve,Port-Royal,t. 1, 1840, p.342).
d) Au masc., BEAUX-ARTS. Artiste, peintre ou sculpteur, qui dirigeait un atelier et formait des élèves travaillant sous son contrôle, parfois à la même oeuvre. Lorsque le cortège s’est mis en marche, les élèves de Girodet ont été prendre le corps de leur maître (Delécluze,Journal,1824, p. 52).Les artistes de la Renaissance vivent dans l’atelier du maître, ils sont les confidents de sa pensée, les collaborateurs de son oeuvre (Séailles,E. Carrière,1911, p. 65).
♦ Le Maître de (suivi d’un nom de localité ou du titre d’une oeuvre). Formule empl. pour désigner un artiste anc. anonyme que l’on nomme d’après l’une de ses oeuvres ou d’apr. le lieu où il a travaillé Le Maître de Moulins; le Maître de la Sainte Véronique. Une génération passe et voici, attribué au Maître du crucifix de saint François, un Christ conservé par la pinacothèque de Pérouse (Huyghe,Dialog. avec visible,1955, p. 361).
♦ Dessin de maître. ,,Dessin qui ressemble à un dessin ancien« (Hugues, Expr. atelier, s.d.).
2. Au masc. Celui qui fait école; celui dont on est le disciple, dont on reçoit et reconnaît l’enseignement, la doctrine (en matière intellectuelle, artistique, morale); celui qui représente un modèle, un guide, un initiateur. Prendre pour maître, se réclamer d’un maître. C’est (…) une véritable transposition d’un art dans un autre. Les maîtres de cet artiste [Redon] sont Baudelaire et surtout Edgar Poe (…); là, est la vraie filiation de cet esprit original (Huysmans,Art mod.,1883, p. 300).Si le langage du maître [Socrate] avait toujours été celui que Xénophon lui prête, comprendrait-on l’enthousiasme dont il enflamma ses disciples et qui traversa les âges? (Bergson,Deux sources,1932, p. 61):
13. … «Obéir d’abord». Ne t’imagine pas qu’en acceptant cette sentence j’abandonne provisoirement mon libre arbitre. Cela signifie, dans mon esprit: «Choisir ses maîtres, après mûre réflexion, et leur obéir». Tu voudras bien noter que j’ai dit «ses maîtres» et non «ses chefs». L’idée du chef ne m’est pas absolument étrangère, pourtant elle m’est moins sensible que celle du maître. Je veux apprendre − c’est-à-dire prendre, saisir − je veux m’accroître… Duhamel,Maîtres,1937, p. 30.
− Loc. et expr.
♦ Maître à penser. Celui qui dirige ou influence la pensée de quelqu’un. À ce moment, en Allemagne, c’était Wolff qui remplissait cet office de maître à penser (Sainte-Beuve,Caus. lundi,t. 7, 1853, p. 459).La littérature polonaise demeure, jusque vers 1920, plus que jamais consciente du rôle patriotique qui lui incombe. L’écrivain n’est pas tant un libre créateur qu’un maître à penser et surtout à sentir nationalement (Arts et litt.,1936, p. 50-8).
♦ Jurer sur la parole du maître. Abdiquer tout esprit critique devant celui auquel on reconnaît une autorité intellectuelle absolue. Ces docteurs (…) jurent, les yeux fermés, sur la parole de leur maître (Delacroix,Journal,1853, p. 109).
♦ [P. allus. à l’argument des scolastiques recourant à l’autorité d’Aristote] Le maître l’a dit. Même sens. L’homme ne dira plus: «Le maître l’a dit». L’homme est émancipé de l’homme. L’homme dira: «La vérité dit, la science dit» (P.Leroux dsLar. 19e, s.v. magister dixit).
3. Au masc. Celui qui est digne de faire école, qui manifeste une compétence exceptionnelle ou un talent supérieur (dans un art, une discipline intellectuelle ou scientifique). V. aussi supra II B 1 c β. Les anciens, les vieux maîtres; un tableau de maître; les maîtres de la peinture, de la musique, de l’éloquence, de la science; les maîtres flamands; les maîtres de l’école flamande. Antoine imaginait son avenir pareil à celui des plus grands maîtres: avant la cinquantaine, il posséderait à son actif nombre de découvertes (Martin du G.,Thib.,Consult., 1928, p. 1130).Enfin vient l’âge où l’on relit, les maîtres surtout, parce que les classiques sont situés à des hauteurs qui permettent de les apercevoir de partout (Morand,Excurs. immob.,1944, p.130):
14. L’artiste qui se borne à imiter la nature n’en saisit que l’individualité: il est esclave. Celui qui interprète la nature (…) en démêle le caractère: il est maître. L’artiste qui l’idéalise y découvre ou y imprime l’image de la beauté: celui-là est un grand maître. Ch. Blanc, Gramm. arts dessin,1876, p. 11.
− BEAUX-ARTS. Petit maître. Artiste de valeur, mais de second plan. Nous n’avons souvent pu que nommer quelques-uns de ces «petits maîtres», joie et délices des amateurs (Gautier,Guide Louvre,1872, p. 160).