La culture humaine – j’entends tout ce en quoi la vie humaine s’est élevée au-dessus de ses conditions animales et s’est distinguée de la vie des bêtes, et je dédaigne de séparer culture et civilisation – offre comme on sait deux faces à l’observateur. Elle embrasse d’un côté tout le savoir et le pouvoir que les hommes ont acquis pour dominer les forces de la nature et en retirer les biens nécessaires à la satisfaction des besoins humains, de l’autre tous les dispositifs nécessaires au règlement des relations des hommes entre eux, et en particulier la répartition des biens accessibles.
Ces deux directions de la culture ne sont pas indépendantes l’une de l’autre, premièrement parce que les relations entre les hommes sont profondément influencées par le degré de satisfaction pulsionnelle que permettent les biens en présence ; deuxièmement parce que chaque homme lui-même, pris individuellement, peut établir une relation avec un autre qui fasse de ce dernier un bien pour autant qu’il utilise sa force de travail ou le prenne pour objet sexuel ; mais troisièmement aussi parce que chaque individu est virtuellement un ennemi de la culture, qui devrait pourtant être d’un intérêt humain général. Il est remarquable que les hommes, si peu qu’ils puissent exister dans l’isolement, ressentent comme une lourde pression les sacrifices exigés d’eux par la culture pour permettre une vie en commun.
La culture doit donc être défendue contre l’individu, et ses dispositifs, institutions et commandements se mettent au service de cette tâche ; ils ne visent pas seulement à établir une certaine répartition des biens, mais aussi à la maintenir, ils doivent même protéger des mouvements d’hostilité des hommes tout ce qui sert à contraindre la nature et à produire des biens. Les créations humaines sont faciles à détruire, et la science et la technique qui les ont construites peuvent aussi être employées à leur anéantissement.
L’avenir d’une illusion.