Extrait 3
C’est seulement grâce à sa capacité d’oubli que l’homme peut parvenir à croire qu’il possède une « vérité » au degré que nous venons d’indiquer. S’il ne peut pas se contenter de la vérité dans la forme de la tautologie, c’est-à-dire se contenter de cosses vides, il échangera éternellement des illusions contre des vérités. Qu’est-ce qu’un mot ? La représentation sonore d’une excitation nerveuse. Mais conclure d’une excitation nerveuse à une cause extérieure à nous, c’est déjà le résultat d’une application fausse et injustifiée du principe de raison. Comment aurions-nous le droit, si la vérité avait été seule déterminante dans la genèse du langage, et le point de vue de la certitude dans les désignations, comment aurions-nous donc le droit de dire : la pierre est dure— comme si « dure » nous était encore connu autrement et pas seulement comme une excitation toute subjective ! Nous classons les choses selon les genres, nous désignons l’arbre comme masculin, la plante comme féminine : quelles transpositions arbitraires ! Combien nous nous sommes éloignés à tire-d’aile du canon de la certitude ! Nous parlons d’un « serpent ». La désignation n’atteint rien que le mouvement de torsion et pourrait donc convenir aussi au ver.